CHRONOLOGIE

Des repères historiques et actuels sur des questions en relation avec la laïcité au Québec, l’émancipation légale de la femme québécoise, de même que sur les événements entourant la mise en place de la Loi sur la laïcité de l’État et sa contestation devant les tribunaux.

Un bilan.

1913

L’enseignement obligatoire conduit à l’enseignement gratuit; car un bon nombre de parents, à cause de leur indigence, sont incapables de tenir leurs enfants aux écoles. D’où l’État, pour arriver à son but, devra s’emparer de la question de l’éducation et ouvrira des écoles dites gratuites, qu’il subventionnera et soutiendra avec les revenus publics. Mais alors, l’État, devenu maître de l’école, la fera à son goût: s’il est neutre, athée ou impie, il n’hésitera pas à retrancher du programme les matières qui lui déplaisent, et l’enseignement sera ainsi d’abord tronqué, puis neutre, enfin athée et impie…

Si dans l’école, on ne parle pas de Dieu, l’enseignement est d’abord impie et athée, puisque l’Être suprême, nié et méconnu, y est par là même insulté; de plus, l’enseignement devient absurde et impossible, car les différentes branches du savoir (l’histoire, sciences, philosophie, etc.), si on ne parle pas de Dieu, sont tronquées, perverties, sans fondement, illogiques et antiscientifiques (L’Abbé Léonce Boivin, Le Catéchisme social, Québec, 1913, pages 72 et 73).

1928

La femme est faite pour le foyer et le foyer est fait pour elle. C’est son domaine, elle y règne sans autre sceptre que sa vertu, sans autres édits que ses exemples. En effet, une épouse soumise, chrétienne et convaincue, mère dévouée, éducatrice consciencieuse, maîtresse vaillante, est toujours la reine chérie et respectée d’un peuple content dans un royaume heureux. Elle en est vraiment la vie, la lumière et la joie. Son influence sur l’homme, et par l’homme, sur la société entière, pour être invisible, n’en est pas moins grande, incalculable.

Cette influence de la femme ressort de sa nature même; de son caractère, de sa générosité, de sa tendresse et de sa constance. De tels dons cependant ne doivent pas rester enfouis et stériles. Outre ce que le bon Dieu lui a donné d’esprit, de coeur, d’âme, et de caractère n’indique-t-il pas la mission bénie qu’elle doit remplir dans le monde ? (L’Économie domestique à l’école primaire, Québec, L’Action sociale, 1928, page 1).

1936

En octobre de l’année 1936, Maurice Duplessis fait installer un crucifix  au-desssus du trône de président de l’Assemblée législative.  Il s’agit d’une décision importante au plan symbolique, qui cherche à montrer que, contrairement aux gouvernements libéraux antérieurs, le nouveau régime entend se conformer aux principes de la morale chrétienne (Éric Bédard: 2012).

1940

Le gouvernement provincial d’Adélard Godbout fait adopter une loi permettant aux femmes de voter lors des élections provinciales. Ce droit est étendu aux élections municipales l’année suivante.

1943

Sous Adélard Godbout, alors premier ministre de la province de Québec, loi instituant la fréquentation scolaire obligatoire pour les enfants de 6 à 14 ans.

ANNÉES SOIXANTE

Avec la Révolution tranquille, début de la séparation de l’Église et de l’État. Laïcisation des actes de naissance et de mariage, laïcisation des services sociaux et de la santé. Apparition d’une technocratie laïque.

1961

Naissance du Mouvement laïque de langue française (MLLQ), ancêtre du MLQ actuel.

 1961

Formation de la commission Parent par le gouvernement libéral de Jean Lesage.

 1962

Marie-Claire Kirkland Casgrain, première femme député élue à l’Assemblée législative du Québec.

 1963-1964

Publication du Rapport Parent.

 1964

Création du ministère de l’Éducation et du Conseil supérieur de l’éducation. Création des cégeps laïques et laïcisation des universités. Mais concession aux catholiques et aux protestants d’un enseignement confessionnel dans les écoles publiques du Québec.

 1964

Projet de loi 16, Loi sur la capacité juridique de la femme mariée.

 1969

Loi concernant les régimes matrimoniaux et l’établissement de la société d’acquêts.

 1973

Loi établissant un Conseil du statut de la femme.

1988

Adoption de la Loi 107 permettant aux parents de soustraire leurs enfants à l’enseignement religieux.

1995

États généraux sur l’Éducation, avec comme principale recommandation la poursuite de la déconfessionnalisation des commissions scolaires.

 1997

Le Groupe de travail sur la place de la religion à l’école,  présidé par Jean-Pierre Proulx (« Rapport Proulx »), est formé pour examiner la place de la religion à l’école. Recommandations à l’effet d’abolir le statut confessionnel des écoles et l’enseignement confessionnel.

2000

Adoption de la Loi 95 complétant le processus de déconfessionnalisation des institutions d’enseignement public.

 2005

Adoption graduelle des recommandations du Rapport Proulx et poursuite du processus de laïcisation du système scolaire québécois.

2005

Suite au Rapport Boyd en Ontario et à sa recommandation à l’effet d’y permettre l’institution de tribunaux islamiques, l’Assemblée nationale du Québec vote une motion unanime s’opposant à l’implantation de tels tribunaux au Québec.

2006

La Cour suprême du Canada renverse un jugement de la Cour d’appel du Québec et autorise le port du kirpan pour un élève sikh dans une école publique de Montréal.

2007

Proclamation du fameux Code de vie d’Hérouxville. Mise en place de la Commission de consultation Bouchard-Taylor.

2008

Dépôt du rapport Bouchard-Taylor. Largement critiqué à cause de sa philosophie multiculturaliste permettant l’emprise des religions dans l’espace institutionnel public.

Il propose l’interdiction du port de signes religieux pour les agents de l’État en position d’autorité coercitive ainsi que pour le président et le vice-président de l’Assemblée nationale.

Inauguration du cours obligatoire d’Éthique et de Culture religieuse (ECR) dans toutes les écoles élémentaires et secondaires publiques et privées.

2010

Projet de loi n°94 : Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements. Mort au feuilleton législatif.

2013

Présentation par le PQ du Projet de loi n°60 : Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement.

Mort au feuilleton à la suite du déclenchement des élections d’avril 2014.

Juin 2015

Présentation par le PLQ du Projet de loi n°59 concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes

2015

Une motion condamnant l’islamophobie  est présentée par Françoise David (QS) à l’Assemblée nationale. Adoptée à l’unanimité.

2016

À cause d’une forte opposition venant de toutes parts, le PLQ abandonne son Projet de loi n°59.

2017

Présentation par le PLQ du Projet de loi n°62 : Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes (titre modifié).

Adoption du projet de loi.

L’article 10 du projet de loi est contesté devant les tribunaux, notamment par le Conseil national des musulmans canadien (CNMC).

2018

Ève Torres, ancienne porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), porteuse du hijab, est candidate de QS dans Mont-Royal – Outremont aux élections provinciales d’octobre. Candidate défaite.

2019 16 juin

Adoption de la Loi sur la laïcité de l’État par l’Assemblée nationale du Québec.

2019 17 juin

L’étudiante au baccalauréat en enseignement à l’Université de Montréal, Ichrak Nourel Hak (étudiante à l’Université de Montréal en enseignement), le Conseil national des musulmans canadiens et l’Association canadienne des libertés civiles s’adressent aux tribunaux pour faire déclarer la nouvelle loi invalide, ainsi qu’une demande de sursis provisoire des articles prévoyant l’interdiction du port d’un signe religieux dans l’exercice de certaines fonctions (article 6) et l’obligation du visage découvert lors de la prestation et la réception de services publics (article 8).

 2019 18 juillet

Le juge Michel Yergeau de la Cour supérieure refuse la demande de sursis d’application de la loi 21. Les demanderesses ne sont pas parvenues à prouver l’existence d’un préjudice irréparable, à démontrer qu’un sursis serait dans l’intérêt public et à démontrer l’urgence de la situation même si elles avaient mis en lumière des questions sérieuses quant à la constitutionnalité de la Loi, selon le magistrat.

 2019 1er août

La juge en chef de la Cour d’appel du Québec, Nicole Duval Hesler, accueille la requête pour permission d’appeler de la décision de la Cour supérieure.

2019 12 décembre

Les juges de la Cour d’appel Robert Mainville et Dominique Bélanger rejettent  la demande de suspension immédiate temporaire de certaines dispositions de la Loi sur la laïcité de l’État, adoptée en juin dernier à l’Assemblée nationale. La juge Nicole Duval Hesler aurait quant à elle aurait accueilli l’appel en partie et suspendu l’application de l’interdiction du port d’un signe religieux dans l’exercice de certaines fonctions (article 6).

Selon le plus haut tribunal du Québec, la loi 21 doit être appliquée telle quelle, le temps qu’un tribunal se penche sur le fond.

Les avocats du Conseil national des musulmans canadiens, de l’Association canadienne des libertés civiles et d’une étudiante en enseignement qui porte le hijab avaient interjeté appel d’une décision de la Cour supérieure, qui avait refusé l’été précédent de suspendre certaines dispositions de la Loi en attendant qu’un tribunal se prononce sur le fond.

Le Conseil national des musulmans du Canada et  l’Association canadienne des libertés civiles contestent le jugement de la Cour supérieure du Québec. « Les requérants avaient demandé un sursis judiciaire immédiat pour deux des articles les plus controversés de la Loi, en particulier la mesure interdisant aux enseignants des écoles publiques de porter des symboles religieux au travail. L’interdiction touche les employés de l’État en position d’autorité coercitive, comme les juges, les policiers et les gardiens de prison, et s’étend aussi aux nouveaux enseignants du réseau public. L’autre article contesté, l’article 8, concerne l’octroi de services à visage découvert.

En somme, ce que la Cour d’appel affirme dans ce jugement, c’est qu’elle n’avalise pas la loi 21 telle qu’elle a été adoptée par l’Assemblée nationale, mais qu’elle souhaite laisser le soin aux tribunaux de l’analyser en profondeur. Elle choisit donc la présomption de constitutionnalité le temps que ce débat sur le fond ait lieu » (Radio-canada, 12 décembre 2018).

 2020 9 avril

Rejet par la Cour suprême du Canada de la demande d’autorisation d’appel des demanderesses de la décision de la Cour d’appel du Québec.

 2020 Automne

Le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure se voit charger de trancher sur le fond. Un bataillon d’avocats, d’experts et de témoins défile devant lui pendant plus d’un mois.

Sont opposés à la loi, la Commission scolaire English Montreal, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Ichrak Nourel Hak au nom du Conseil national des musulmans canadiens et l’Association canadienne des libertés civiles.

La Commission scolaire English Montreal avance que la Loi 21 s’attaque aux droits à l’instruction de la langue de la minorité (article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés), constitue une contrainte illégitime au droit de gestion et à la gouvernance des commissions scolaires anglophones au Québec, vise particulièrement par l’interdiction du port de signes religieux les femmes, tout particulièrement celles de confession musulmane portant le hijab, ces dernières se voyant empêchées d’exercer leurs droits sur un pied d’égalité avec les hommes. La clause de droits acquis qui permet aux enseignants à pied d’oeuvre avant l’adoption de la Loi 21 de porter des signes religieux pose aussi problème. En effet, elle empêche les directions d’école de nommer des enseignants portant des signes religieux à des postes de directeur ou de directeur adjoint à moins que ces derniers abandonnent leurs signes religieux.

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) avance que la loi est liberticide parce qu’elle va à l’encontre du droit à la liberté de religion, à ses croyances et à leur pratique. La Loi sur la laïcité de l’État porterait aussi atteinte aux articles 6 (liberté de circulation), 27 (maintien du patrimoine culturel), 28 (égalité de garantie des droits pour les deux sexes) de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu’à l’article 43 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, selon lequel « les personnes appartenant à des minorités ethniques ont le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe ».

Ichrak Nourel Hak au nom du Conseil national des musulmans canadiens et de l’Association canadienne des libertés civiles avance que l’Assemblée nationale n’a pas compétence pour interdire le port de signes religieux dans l’exercice de certaines fonctions (article 6) et d’obliger le visage découvert lors de la prestation et la réception de services publics (article 8). La loi relève en fait du droit criminel, donc du gouvernement fédéral. Qui plus est, la loi 21 est vague et son application sera immanquablement arbitraire.

Sont en faveur de la loi, le Procureur général du Québec, le Mouvement laïque québécois (MLQ), Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec).

Le Procureur général du Québec avance que le Parlement du Québec peut établir un modèle de rapports entre les religions et l’État qui corresponde à la réalité propre du Québec en vertu du principe de la souveraineté parlementaire et des dispositions de dérogation prévues aux Chartes des droits. « L’interdiction du port de signe religieux [pour] certains employés de l’État […] est un moyen parmi d’autres permettant d’affirmer la laïcité des institutions étatiques québécoises. » Le gouvernement du Québec a choisi de recourir aux clauses dérogatoires pour s’assurer que ce choix de société ne puisse pas être remis en question par les juges.

Le Mouvement laïque québécois (MLQ) avance que le Québec a pleins pouvoirs pour adopter cette loi, que les clauses dérogatoires sont valides et que l’encadrement de la liberté de religion est justifié. Il invoque principalement l’arrêt MLQ c. Saguenay de la Cour suprême en 2015 dans lequel est implicite le fait que la liberté de religion des représentants de l’État, y compris les enseignants, s’arrête là où le principe de la neutralité religieuse de l’État commence à s’appliquer. Dans ce jugement, la Cour suprême a statué qu’en matière religieuse de l’État, il n’y avait pas lieu de procéder à un exercice de conciliation des droits.

L’organisme Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) estime que le reproche fait à la Loi 21 de porter atteinte à l’égalité des femmes et à la liberté de religion n’est pas fondé en droit. Cette loi complète l’encadrement de l’exercice de la liberté de religion, dicte une obligation de neutralité de l’État et constitue le socle du respect du droit à l’égalité.

2021 Avril

La Cour supérieure du Québec émet un jugement sur le fond et stipule que malgré que la loi 21 nie plusieurs des droits de certaines minorités et citoyens, elle est maintenue en vertu de la clause dérogatoire dont elle se prévaut juridiquement. Par contre, le jugement ouvre une porte aux écoles anglophones en excluant la English Montreal School Board de l’application de la loi 21 en raison des droits linguistiques qui leur sont reconnus en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

2021 31 mai

À titre d’intervenant en défense de la Loi sur la laïcité de l’État, le Mouvement laïque québécois (MLQ) porte en appel le jugement du juge Blanchard de la Cour supérieure. Le MLQ fait valoir que le juge a ignoré l’arrêt de la Cour suprême MLQ contre Saguenay en permettant à des agents de l’État d’afficher leur religion au travail et de passer outre à leur obligation de neutralité religieuse.

2022

En attente d’être portée devant la Cour d’appel.

RÉFÉRENCES

Les informations de cette rubrique proviennent de plusieurs articles de Wikipédia ainsi que des sources suivantes: 

BÉDARD, Éric, L’Histoire du Québec pour les nuls, Éditions First-Gründ, Paris, 2012.

BÉLAIR-CIRINO, Marco, Bataille rangée pour la laïcité, journal Le Devoir, 13 mars 2021.

LINCOURT, Michel, Qu’en est-il aujourd’hui du fait religieux dans les écoles québécoises?  <http://www.michellincourt.com/2012/09/ecoles-religieuses/>

MAILLOUX, Louise. La laïcité, ça s’impose!, Montréal, Les Éditions du renouveau québécois, 2011.

PROULX, Jean-Pierre. «10e anniversaire du Rapport Proulx. Une réflexion qui a changé l’école», dans Le Devoir, 30 mars 2009.